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prend de l’étreindre, de me coller à lui, de chercher sa bouche. La soirée se passe ainsi.

Je reste à ma table, tout le temps qu’il reste à la sienne ; je suis machinalement les conversations échangées, les voix qui s’élèvent plus fortes, les rires qui strident… jusqu’au moment où il se lève pour partir.

Pourquoi ne puis-je l’aborder et lui dire n’importe quoi ?… Je n’en ai pas le courage… Droite comme une somnambule, je le suis. Une idée s’incruste dans ma tête : il ne faut pas que je le perde.

Il met en marche sa voiture, une M.G. sport, de couleur beige, brillante de tous ses aciers. J’appelle un taxi et nous le suivons ; j’ai l’air d’une héroïne de film, malheureusement mon taxi, un vieux tacot invraisemblable, tel qu’on en garde encore à Londres, le perdra au moindre tournant.

— Hurry up, vite, vite !

La voiture poursuivie marche très lentement, comme si Vassili voulait profiter du soir, de la nuit bleue et froide, si pure ; j’entrevois, sous les lumières, la tête blonde et les cheveux pleins de vent.

Il s’arrête devant un garage ; je règle mon chauffeur, il repart d’un pas souple, élastique ; je le suis ; il ne me voit pas.

Au bord de la Tamise qui roule ses eaux glauques, il arrive enfin devant une maison basse, met une clef dans la serrure et disparaît. Deux grandes baies s’allument, une ombre passe, puis les rideaux fermés me cachent toute autre chose… Je reste là, un long moment… L’insistance que met un policeman à me dévisager m’effraie tout à coup.