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ches le jour qu’il la quitta. Il poursuivent pour en dire plus, quand Bertrande se laissa tout à coup tomber à son col en le baisant, le serrant fort etroitement et luy disant : « Ah ! mon mary, vous me revenez doncq’ voir après m’avoir delaissée si longuement ! » Bertrande alors s’excusa fort de ce qu’elle ne l’avoit recogneu tout d’abord, le priant de luy pardonner, et que la barbe qui luy estoit venu si forte estoit seule cause de son hesitation. Un oncle de Martin Guerre, ayant aussy ouy ce bruict, y arriva, et, l’ayant fort regardé entre deux yeux, ne pouvoit croire que ce fust luy, jusqu’à ce que ce faux Martin luy vint à rememorer tout ce qui s’estoit passé entre eux quand ledit oncle avoit eu charge de ses affaires. Ce qu’ayant entendu, il le vint embrasser, louant Dieu de ce que son nepveu estoit de retour en santé vers ses parens. Par ces moyens, le fin affronteur fist accroire à la femme qu’il estoit son mary, à l’oncle qu’il estoit son nepveu, aux sœurs qu’il estoit leur frère, et aux voisins qu’il estoit Martin Guerre. Il demeura toutes fois encores quelques jours en ladicte hostellerie pour achever de se guerir de sa maladie, qui estoit la verolle9. Et pourtant ne faisoit il cependant aucune instance de vouloir cohabiter avec sa femme. C’est à savoir qu’un tel homme de bien faisoit conscience de donner la maladie à une femme de laquelle il vouloit bien neantmoing faire perdre l’âme en contaminant le chaste lict par exécrables actes de paillardise dont la semblable ne fut onques ouye. Cependant toutefois la femme ne laissoit de


9. Ce détail manque dans les autres relations.