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engendrent la disette et la cherté, et en après les vendent à leur mot. La quatriesme cause est la liberalité dont noz rois ont usé à donner les traittes des bleds et des vins, et autres marchandises, pour les transporter hors du royaume20 : car les marchans, advertis de l’extresme cherté qui est ordinairement en Espagne et en Portugal, et qui souvent advient aux autres lieux, obtiennent, par le moyen des favoris de la cour, des traittes pour y transporter les dits bleds, le transport desquels nous laisse la cherté. La cinquiesme cause est le pris que les rois et princes ont donné aux choses de plaisir, comme aux peintures et pierreries, qui ne s’achètent qu’à l’œil et au plaisir, lesquelles aujourd’huy se vendent dix fois plus qu’elles ne faisoient au temps


20. Encore une idée de Bodin. Il en vient a dire qu’en raison des dégâts de la traitte qui fait passer en Espagne et en Flandre tout le blé françois, on doit presque souhaiter d’avoir la guerre avec les Espagnols ; tant qu’elle dure, en effet, le grain ne sort pas de France et le pain est à meilleur marché. Il s’explique ainsi sur l’avidité des Espagnols et des Portugais à se jeter sur nos grains, leurs terres étant presque toutes incultes, à cause des expéditions d’outre-mer, qui enlevoient tous les bras disponibles : « Or, dit-il, il est certain que le blé n’est pas si tost en grain que l’Espagnol ne l’emporte, d’autant que l’Espagne, hormis l’Aragon et la Grenade, est fort sterile, joint la paresse qui est naturelle au peuple, comme j’ay dit, tellement qu’en Portugal les marchands blattiers ont tous les priviléges qu’il est possible, et, entr’autres, il est défendu de prendre prisonnier quiconque porte du blé à vendre, autrement le peuple accableroit le sergent, pourvu que celuy qui porte le blé dise tout haut : Traho trigo, c’est-à-dire je porte du blé. »