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ils se souviennent qu’ils ont encore des vers à dire, et que, quelque malheur qui les accable, ils doivent bientost estre heureux et mariez au dernier acte, et ils sçavent trop bien qu’une des principales règles du theatre, c’est de ne pas ensanglanter la scène. Que diroit leur maistresse s’ils avoient esté si hardis que de sortir de la vie sans son congé ? Elle est maistresse de toutes leurs actions, elle le doit donc estre de leur mort, car c’est agir que de mourir. Il faut luy aller dire le dernier adieu et la prier de les tuer de sa main ; le coup en sera bien plus doux : un coup d’epée qui part du bras d’une maistresse ne fait que chatouiller. Mais elle n’a garde de rendre un si bon office à un homme qui a esté si insolent, si temeraire, si outrecuidé35, que de l’aimer : il faut qu’il vive pour sa peine. Il voudroit bien la mort, mais ce n’est pas pour son nez, car ce seroit la fin de ses peines, et l’on n’est pas encore reconcilié. Voilà donc un pauvre amant en un pitoyable estat ; neantmoins il n’y sera pas longtemps. Chimène luy va dire qu’elle ne le hait point. Après cela, qu’y a-t’-il qu’il ne surmonte, quels perils qu’il n’affronte ? Paroissez, Navarrois, Mores et Castillans, et tout ce que l’Espagne a nourry de vaillans36 ! Paroissez, don Sanche ; il va vous en donner ! Il se


35. « Qui cuide estre plus qu’il n’est, dit Nicot, qui a trop grande opinion de soi. » Montaigne l’a employé dans une phrase où, comme le remarque Coste, il avoit mis vain dans la première édition. C’est établir au mieux la synonymie très prochaine de ces deux mots.

36. C’est, comme vous savez, le beau mouvement de la 1re scène du 5e acte du Cid.