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la semance à la terre, laisse en friche les possessions, et, ce qui est plus deplorable, prend le sac et la besace, et s’exile volontairement de son patrimoine pour aller à la requeste d’une meilleure fortune. Ceste desolation ne s’arreste pas à la campagne : il y a quantité de villes en France qui ont autrefois porté le nom de bonnes, belles et florissantes, lesquelles, ores que de leur enceinte elles puissent aller du pair avec les plus superbes des provinces estrangères, estans par leur malheur posées hors de tout commerce et abord de commoditez, soustiennent neantmoins de si grandes et immenses charges, et, partant, sont accablées de tant de misères, qu’à bon droit elles portent envie à l’heureuse condition des hospitaux de Paris, et changeroient volontiers leurs murs avec le benoist enclos qui defend ces bienaymés enfans de Dieu de la faim et de l’oppression. De là vient que, quel ordre que puisse mettre le Parlement et quelles diligences que fassent vos officiers, Paris, qui estoit autrefois la nourricière des bonnes lettres, un theatre de vertu, un abord de beaux esprits, est aujourd’huy la retraitte de tant de fenéans, gens sans adveu, voleurs de nuict et de jour, tireurs de laine, passe-Irlandois31, char-


31. C’est-à-dire Irlandois en passage. Ces gueux catholiques, chassés de leur île par les persécutions, avoient infesté Paris pendant tout le temps de l’occupation espagnole. On sait par d’Aubigné comment ils se blottissoient dans les cavités du Pont-Neuf, inachevé, et comment, la nuit venue, ils tiroient par les jambes et précipitoient dans l’eau les passants qui leur refusoient leur bourse pour aumône. C’étoient de dévotes gens pourtant, ne demandant qu’a être