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meubles et ustensiles qui estoient dans ma chambre, que je divertissois par après aux heures les plus favorables, et apportois chez le dit marchant, sous le bon plaisir de Guillemette. Le premier meuble que je desplaçay fust une bonne double couverte, qui fust vendue cinquante sols ; le tapis de la table ne fust pas des derniers ; le ciel de lict et les rideaux suivirent après. Mon ventre alloit se repaissant de telles viandes, prest de contester et rapporter le prix sur celuy de l’autruche16. Peu à peu mes boyaux s’endurcirent tellement qu’enfin je me ruay sur un chandelier de leton ; de là je vins aux chenets, qui estoient de fer ; à une poesle de haute graisse, à la paile, aux pincettes ; je reservay pour le dernier mets le pot-de-chambre, qui fust de haut gout. À peine les gons, serrures et autres ferremens des portes se preservèrent de mon enragé appetit, tandis je vois ma chambre ne me fournir plus d’alimans, non plus qu’un os d’esclanche de mouton rongé par quatre sergens à jeun. Je laisse à deviner, Sire, à ceux qui se sont trouvez quelquesfois en un tel accessoire, quelles furent lors mes pensées, et combien estranges les diverses resolutions qui esbranlèrent ma constance. Le premier advis que ma rage me proposa fust de m’arracher les dents, depuis la plus grande jusqu’à la plus petite17, lequel me passa bien tost de l’entendement, à cause de l’estrangeté. Il me sem-


16. Il y a ici une allusion très peu claire à la réputation qu’ont les autruches de digérer tout ce qu’elles ont avalé, fût-ce des cailloux ou du fer.

17. Le poète Sibus, dont les misérables aventures sont racontées dans une pièce du Recueil de pièces en prose les plus