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veilles. Je souppois dernierement avec le bon père Crito (je m’enten bien) ; il estoit aussi un peu philosophe, et venoit tout estonné de faire la ronde autour de l’esquadre des fols, et, pour m’assurer de son dire, me jura sur son court et large coutelas qu’il n’estoit plus si fol qu’il souloit estre au temps du philosophe Menippus, qui portoit tousjours le pacquet de sa folie sur luy, soit qu’il allast aux champs ou qu’il fust de sejour en la ville. Revenant donc, dit-il, de ce beau pays des fols, il dit qu’il eut beaucoup de peine à retrouver le chemin, car l’air inferieur en estoit tout obscurcy, et ne sçavoit lequel regarder, tant il y en avoit ; entre autres il vit la nouvelle façon des bottes sans chevaux et en fut tout estonné, veu que ce n’est la coustume en France d’avoir des bottes s’il n’y a cheval en l’escurie. Mais il s’advisa et dit en soy-mesme : Peut-estre, helas ! que je me suis fourvoyé et que je suis en l’autre monde. Et, cherchant de tous costez, s’asseura, cognoissant qu’il estoit à Paris, et sceut par un savetier au coin d’une rue1 l’occasion de tant de bottes sans chevaux ; et, beuvans ensemble, ledit savetier (salva reverentia vestra) luy dit : Monsieur, vous qui venez de loin,


1. Chaque coin de rue avoit alors son savetier, qui étoit le grand causeur, le grand gabeur, le gazetier de tout le voisinage. On connoît cette jolie épigramme de d’Aceilly :

Le savetier de notre coin
Rit, chante et boit sans aucun soin.
Nulle affaire ne l’importune.
Pourvu qu’il ait un cuir entier,
Il se moque de la fortune
Et se rit de tout le quartier.