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gnes pas trop. Tu veux degouster le monde de ma marchandise ; mais c’est comme le renard des mures, et tu serois trop heureux de mouiller ton pain dans le bouillon de mon salé. Un musicien, amy du joueur de luth, aussi sec que luy pour le moins, se retira comme il vouloit repliquer à ces mespris, en luy remonstrant que c’estoit se profaner que d’entrer en paroles avec gens de cette sorte, et qu’il n’y avoit rien à gaigner que des coups ; puis, se tournant devers moy avec une façon pitoyable, il dit en continuant : Cela n’est-il pas deplorable, Monsieur, qu’il faille que des brutaux fassent des niches à d’honnestes gens ? Il s’est veu des temps que les arts liberaux estoient en vogue et en estime ; mais maintenant tout est perverty, la vertu n’est couverte que de lambeaux, et nous nous voyons contraints de ployer sous des gens qui n’auroient esté, dans le bon temps, que nos moindres valets. — Mais croyez-vous, dit un orlogeur, que cela dure long-temps, et que nous soyons tousjours reduits dans cette misère ? Sans quelque peu d’argent que j’avois mis à part au commencement de ces troubles, j’aurois esté reduit à l’extremité, quoy que, Dieu mercy, je m’escrime assez bien de mon art. Je connois un graveur de mes amis qui gaignoit tous les jours sa pistolle, et qui, n’ayant pas maintenant le moyen d’avoir du pain, est reduit à vendre ses meubles pièce à pièce. — C’est le moyen de vivre de mesnage15, repliquay-je, et de


15. Le même trait se trouve mot pour mot dans le Médecin malgré lui, acte 1, scène 1. Martine se désole d’avoir un mari « qui vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis. — C’est vivre de ménage », répond Sganarelle.