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C’est une destinée et bien triste et bien rude
Que de se voir reduite à vivre en servitude !
Dans cet etat pourtant j’ai sçu gagner du pain
Et j’ai sçu m’assurer un revenu certain :
J’ai près de mil ecus sur les cinq grosses fermes,
Dont je touche la rente et l’interêt par termes ;
Et (ce qui met le comble à ma felicité)
Mon mari, comme moi, gagne de son côté13.
Il mène un grand seigneur qui, sans compter ses gages,
Lui fait à tous momens de nouveaux avantages.
Du bon qui lui revient loin de rien depenser,
Il trouve tous les jours moyen d’en amasser.
Son maître ne va point de Paris à Versaille
Qu’il ne gagne vingt sols sur le foin et la paille.
Enfin, quand nous voudrons nous retirer tous deux,
Le reste de nos jours nous pourrons vivre heureux.
Formez-vous, mon enfant, sur de si beaux exemples.
Je viens de vous donner des leçons assez amples,
Je n’ai rien oublié pour vous bien conseiller ;
Mais sur vos interêts c’est à vous de veiller ;
Et, lorsque mon credit vous sera necessaire,

Vous verrez que pour vous je suis prête à tout faire.



13. « Je voudrois bien demander à ces maistres valets où ils peuvent prendre le revenu de s’entretenir de la façon, car ils n’ont pas cinquante livres de rente. S’ils avoient davantage, ils ne serviroient pas. Cependant ils font une despense de plus de mille livres, et n’ont tout au plus que trois cens livres de gage. S’ils ne déroboient que le surplus, ce ne seroit pas grand chose pour faire leur fortune. » (Les amours, intrigues et caballes des domestiques des grandes maisons de ce temps. Paris, 1633, in-12, p. 31.)