Car, si vous n’avez pas un visage assuré
Pour soutenir le faux et deguiser le vrai,
Si vous ne sçavez pas payer d’effronterie,
On pourra penetrer dans votre fourberie.
C’est pourquoi banissez toute timidité ;
Recriez-vous toujours sur la grande cherté ;
Les jours maigres surtout, criez, dès votre entrée,
Qu’à la halle il ne fut jamais moins de marée,
Que le beurre et les œufs y sont chers à l’excès,
Et qu’à peine y voit-on des choux et des panais.
Dans ces occasions il est de certains gestes
Qui, quoi qu’on dise peu, font deviner le reste.
Levez donc vers le ciel pieusement les yeux,
Ou, posant le panier d’un depit furieux :
Que j’en veux, direz-vous, à ces sales poissardes !
Elles m’ont fait dix sols une botte de cardes !
En verité, Madame, on n’y sçauroit tenir.
Je croyois du marché jamais ne revenir.
Lorsque vous avez fait tous vos tours dans la place,
Ce dont vous profitez, vous l’otez sur la masse,
Et vous entortillez dans le coin d’un mouchoir
Ce qui de compte fait doit à Madame échoir.
Mais que la mule soit egalement ferrée :
Ne rejettez pas tout sur la même denrée.
Pourquoi faire monter une pièce trop haut
Pour ne rien augmenter sur ce que l’autre vaut ?
Après avoir compté, si, pour vous mieux surprendre,
On vous fait recompter, gardez de vous meprendre.
Ainsi, ne manquez pas de faire raporter
La depense à l’argent qui vous devra rester.
D’un esprit scrupuleux voulez-vous faire montre
Qu’aux articles toujours plus ou moins se rencontre ?
Page:Variétés Tome V.djvu/249
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.