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ung batel, il le dessire et le met en pièces, et quant on le veult appaisier, il convient sonner ung gros tambour. Il a bien douze vingtz piez de long, et de haulteur bien quarante piez ; sa teste est toute ronde, ses oreilles pendantes plus de vingt brasses ; il a treize cornes, longues bien de sept aulnes ; il gette feu par les dictes cornes plus de cent brasses à long ; les yeulx plus gros que une chauldière à tainturier, et est couvert d’esquailles, et ot-on sonner les esquailles, quant il naige, de cinq ou sept lieues loing ; il a la queue fourchée en quatre, et fait esclisser la mer de sa queue plus d’une lieue de hault18.



18. Ce poisson nous semble être tout à fait de la même famille que le fameux Kraken, dont il est tant parlé dans les relations des anciens voyageurs et dans quelques livres de savants, tels que l’Histoire anatomique de Bartholinus, le Mundus mirabilis d’Happelius et le De piscibus monstruosis d’Olaüs Wormius, où il est appelé Hafgufa. C’est le dernier venu de ces poissons merveilleux : il n’y a pas cinquante ans qu’un navigateur prétendit encore l’avoir rencontré dans les mers du Nord, au milieu des îles Orkeney ; mais celui-là venoit trop tard, en 1808, pour accréditer son mensonge. La science alors avoit dit son mot sur le Kraken ; l’on sçavoit que, sauf les immenses proportions dont l’avoit gratifié la terreur populaire, ce n’étoit autre chose qu’une sorte de sèche gigantesque, appelée sèche à coutelas, qui se rencontre parfois dans les mers du Nord. Le peuple, lui-même, n’y croyoit plus guère en 1808, et je penserois volontiers que le mot craque (mensonge) étoit un souvenir de ce pauvre Kraken dont on lui avoit fait peur si long-temps, et auquel il ne vouloit plus croire. Le comte de Provence, qui auroit pu être l’un des premiers incrédules, fut aussi l’un des derniers qui tâcha de s’en amuser. On connoît