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personne qui vous honore fort. À quoy Orcandre, après l’avoir attentivement regardée avec beaucoup d’estonnement, luy respond : Madame, il se peut faire que j’ay eu l’honneur de vous voir en quelque part ; mais il y a donc fort long temps, puis qu’il ne m’en est resté aucune sorte de memoire.

Sans mentir, luy repart le filou, je suis extremement marrie de quoy vous ne vous souvenez point d’avoir parlé à moy, et encore plus de me voir si peu consolée du mal et de la peine que je souffre depuis un an ou environ qu’il y a de cette veuë, où je me trouvay si fort touchée de la bonté de vostre humeur que depuis les desirs d’en gouster les fruicts à mon aise ne m’ont pas seulement gehenné l’esprit et l’ame, mais mesme m’ont faict mespriser mille rencontres qui se sont offertes pour me marier avantageusement.

Ces paroles plaines de miel ayant doucement frappé l’oreille d’Orcandre, et quant et quant les organes de sa voix, il en perdit comme la parole, se laissant emporter dans l’espoir d’une fortune où il n’avoit jamais pensé, et qu’il croyoit indubitable.

De quoy le filou s’appercevant, et que son dessein reüssissoit si bien en ses premiers effects, en continuant sa pointe, dit à Orcandre : Et quoy ! Monsieur, d’où procède le silence que vous gardez si fort ? Est-ce à cause de me voir si hardie à vous descouvrir ma passion ? Si cela est ainsi, representez-vous la nature de la parfaicte amour, et vous trouverez qu’elle auctorise en tout point la force de mon courage, qui me faict parler de la façon.

Orcandre ayant un peu repris ses esprits, luy repart