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Fi ce pain de Gonès ! apportez du mollet11,
Grillez cet haut costé. Sus, à boire ! valet ;
Donne moy ce chapon au valet de l’estable,
Car c’est un Durandal, il est plus dur qu’un diable,
C’est quelque crocodil ! tau, tau ! pille, levrier ;
Que ce coc d’inde est flac ! va dire au cuisinier
S’il se dupe de nous, s’il sçait point qui nous sommes,
Et luy dis si l’on traitte ainsi les gentils hommes.
L’hoste, qui ne cognoit qu’enigme au tafetas :
« Gentil homme ! Monsieur ! je ne le sçavois pas.
Et, quand vous seriez tel, c’est assez bonne chère,
Monsieur. Que Dieu pardoin à feu vostre grand-père,
Il estoit bon marchand ; j’achetay du tabit
Du pauvre sire Jean pour me faire un habit.
Il m’invita chez luy à curer la machoire ;
Mais là le cuisinier n’empeschoit sa lardoire,
N’ayant albotté12 que trois pieds de moutons,
Et falloit au sortir payer demy teston.
L’on n’y regarde plus, soit sot ou gentil homme,
Massette de Regnier, on prend garde à la somme :



11. Le pain mollet, vendu chez les boulangers de luxe ou de petit pain, étoit alors le seul qui fût recherché des gourmets, au grand dommage des boulangers de Gonesse, qui ne faisoient que le pain de ménage. Ils prétendirent donc que la pâte en étoit malsaine à cause de la levure qu’on y employoit. Il en résulta, en 1668, un procès dont j’ai fait l’histoire sous ce titre : Molière et le procès du pain mollet. (Revue française, juillet 1855.)

12. C’est-à-dire grapillé. Au chapitre V de la Prognostication pantagrueline, albotteur est pris dans ce sens : « Les alleboteurs, dit Le Duchat, sont de pauvres gens qui tracassent les vignes vendangées pour y grapiller. »