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Je porte en le portant poison et medecine,
Selon que l’abus regne ou la discretion ;
Debitant le remède et la corruption,
J’offense et je gueris la teste et la poitrine.

C’est par luy qu’on me loue et que l’on me caresse,
Luy seul fait que mon nom est par tout reveré,
Et que tant de mortels, d’un accent alteré,
M’invoquent au besoin comme quelque deesse.

Le voyageur lassé, l’artisan hors d’haleine,
Et le soldat recreu4 s’empressent pour m’avoir,
Sçachans que mon genie a l’excellent pouvoir
De resveiller la force et d’adoucir la peine.

S’il faut faire un marché, l’on veut que je m’en mesle ;
S’il s’agit d’un contrat, j’en conduis les ressors ;
Si parmi les plaideurs il se fait des accors,
Pour les mieux affermir il faut que je les scèle.

Le malade en son lict, où la fievre le mate
Et le tient attaché d’un vigoureux lien,
Souvent pour m’aborder rebute Galien,
Et prise plus mon nom que celuy d’Hipocrate.

Plusieurs, pour m’accueillir, me font des sacrifices
De langues, de jambons, de fromages pourris,
Où l’on n’oit que mots gras entremeslez de ris,
Et les plus doux encens n’y sont que des espices.

Tout ce que la debauche a pris pour ses amorces,
Ces fusils de la soif, ces ragousts parfumez,


4. Pour fatigué, harassé. Ce mot commençoit à vieillir. Racine l’a souligné comme suranné dans l’exemplaire du Quinte-Curce de Vaugelas (1653, in-4, p. 248) qu’il possédoit, et qui est aujourd’hui à la Bibliothèque impériale.