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vrayment l’entendoient-ils bien tous deux ; mais je ne l’entendois pas. Le Polonnois donc, ayant fait trois piles ou monceaux de cartes, nous fit regarder la carte du dessus du premier monceau, puis il nous monstra celle de dessous du second monceau, et nous fit mettre ce second monceau sur le premier ; par ainsi la carte que nous avions veu la seconde estoit sur celle que nous avions veu la première. Il appelloit ceste seconde l’horloge. En troisiesme lieu, il nous donnoit une carte du troisiesme monceau, et la faisoit mettre où on vouloit dans le jeu. Or, cela estant fait, il disoit que la première carte ne se trouveroit point après la seconde, qui estoit l’orloge, et que neantmoins ce magicien la faisoit tousjours trouver, et luy gaigna beaucoup d’argent. Mon compagnon de conduite, mais non pas de fortune, dit qu’il comprenoit bien le jeu et qu’il y joüeroit un escu si monsieur le Polonnois vouloit. Le Polonnois, qui ne demandoit pas mieux, accepta ceste offre. Ils commencèrent donc à joüer, et moy à les regarder et à apprendre le jeu, ce que je fis incontinent, à cause de sa grande facilité, bien que je n’eusse jamais joué aux cartes. Tout aussi-tost donc que j’en eus la cognoissance, je vay plaindre la fortune de ce pauvre estranger, pensant à par moy qu’il perdroit tout son argent à ce jeu, et croyois qu’il estoit yvre ou insensé, et avois compassion de sa folie4. Sur ces entre-


4. C’étoit une manœuvre de ces fourbes de commencer par perdre. Le petit suisse qui gagna tant d’argent au chevalier de Grammout se donna aux premières parties une veine d’autant plus déplorable qu’il savoit bien qu’il auroit sa revanche. V. Mém. de Grammont, chap. 3.