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en mon jeune aage, avois couru le païs, et qui sçavois la peine qu’il y a de se voir parmy des gens inconnus, fus tout aussitost esmeu de compassion, et, me laissant emporter à ses prières, je me mis en chemin pour le conduire. En marchant il me contoit la fidelité qu’en son païs on gardoit aux estrangers, et que c’estoit une grande œuvre de charité d’osier un homme des mains des voleurs et de le remettre en son chemin et lieu de seureté. Bref, tous ses discours m’excitoient à commiseration. Or, voicy, comme il se vit proche d’un cabaret, qu’ils avoient, à mon advis, atitré, il commence à dire que le cœur luy faisoit mal, qu’il n’avoit plus la force de se soustenir, et qu’une foiblesse l’avoit pris, et, se jectant sur moy, me supplia de ne l’abandonner point. Je fus en grande peine et tout estonné. Son compagnon, ou plustost le mien pour lors, car il m’aidoit à le conduire, qui estoit le medecin ordinaire d’une telle maladie, luy dit : Monsieur, il vous faut icy reposer dans ce cabaret et prendre un doigt de vin, cela vous passera. Le Polonnois feignoit d’avoir perdu la parole et ne respondoit point. Le compagnon me dit : De peur qu’il n’y tombe entre nos mains, menons-le dans ce cabaret. Ce que nous fismes, et entrasmes dans une petite chambre. Tout aussitost que nous fusmes dedans, le Polonnois s’appuye sur les coudes et dit que la teste lui faisoit mal. Son compagnon, qui entendoit le pair et la prèze3, luy dit : Monsieur, c’est qu’il nous faut res-


3. Meyer donne ainsi l’origine de l’expression entendre le pair, qui s’introduisit dans la langue commerciale vers