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luy estoit plus expedient que le diabolique auquel on le vouloit faire entrer. Mais, voyant sa noblesse et son courage estre revoqués en doute par ces deux jaloux aventuriers d’honneur, il se sentist vivement piqué de cette pointille de mespris, et leur dict assez froidement (non toutesfois sans jurer et comme par manière d’acquit) : Pourquoy m’importunez-vous tant ? vous voyez qu’il ne m’en prie pas. À peine eut-il lasché cette parolle, que de la bouche de ce gentilhomme quy avoit besoin de luy sortirent des prières et supplications, avec protestations de luy en avoir toute sa vie (s’il en rechappoit) des ressentiments et obligations infiniment grandes, quy eussent peu emouvoir un diable mesme à se battre, eust-il esté aussy poltron que celuy de Rabelais3.

Ce cavalier presta donc son consentement à ceste


3. « Au temps que j’estudiois à l’escole de Tolette, dit Panurge, le reverend père en diable Picatris, recteur de la faculté diabologique, nous disoit que naturellement les diables craignent la splendeur des espées aussi bien que la lueur du soleil. De faict Hercules, descendant en enfer à touts les diables, ne leur feit tant de paour, ayant seullement sa peau de lion et sa massue, comme après feit Eneas estant couvert d’un harnois resplendissant et guarny de son bragmard bien appoinct, fourby et desrouillé à l’ayde et conseil de la sibylle Cumane. C’estoit peult-estre la cause pourquoy le seigneur Jean-Jacques Trivolse, mourant à Chartres, demanda son espée et mourut l’espée nue au poing, s’escrimant tout autour du lict, comme vaillant et chevalereux, et par ceste escrime mettant en fuitte tous les diables qui le guettoient au passage de la mort. » Pantagruel, liv. 3, ch. 23.