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je viens des champs Elizée. — Et quoy faire ? dist maistre Guillaume. — De veoir le bon père Anchises. — Qui t’y a conduict ? — La Sibille. — Laquelle ? — D’un pressouer5. — Ha, ha ! et je te prie, conte-moy des nouvelles du pays, et par quelles contrées tu as passé. — Par ma foy ! je te le dirai volontiers, pourveu que tu me veuille escouter. — Je t’escouteray aussi volontiers comme je fais l’evangile, maistre Guillaume. — Après que je fus lavé de tous mes pechez, dit Piedaigrette, par le moyen du grand jubilé d’Orléans, je ne sçay quels esprits m’aportoient en ces lieux, où j’ay esté et vescu l’espace de longtemps de la manne celeste des enfants d’Israël, durant lequel temps j’ay veu une partie du pays, qui est fort bon, Dieu merci. En premier lieu, je me trouvay en un pays de contracts, duquel pays j’eus grand peine à me desbrouiller, car je fus lié et garotté à coups de plume comme un pauvre forçaire6 ; et, n’eust esté Pajot et Bobie, qui venoient deparier à Matthieu Aubour pour retirer une minutte, j’estois en grand hazart. Eschapé de ce danger, j’entrai au pays de consultation, où il y a force gens d’honneur et gens de bien qui gouvernent le pays assez mo-


5. Jeu de mot sur la sebille de bois dans laquelle s’égoutte le pressoir.

6. On avoit d’abord dit forcé, comme on lit dans les premières éditions de Rabelais, puis on dit indifféremment forsaires et forsats. « Nous appelons ces pauvres gens attachez à la rame forsats, parcequ’ils rament par force. » (Vincent de La Loupe, Origine des dignitez et magistrats de France, Paris, 1573.)