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asseuré en son ame quel parti il devoit prendre, ou la paix, ou la guerre (encores qu’il ne se soucie ny de l’un ny de l’autre), voyans venir à soy Piedaigrette avec ses jambes de fuzeaux et son ventre creux comme une aulge à porceaulx, et sa grosse teste de veau sur ses espaules voutées, l’un devant l’autre, à la portée du canon, ce demandoient : Qui va là ? qui va là ? par plusieurs fois. M. Guillaume, qui pensoit que ce fust quelque diable de soldat, parle le premier fort honnestement, disant ces mots : C’est moy ! Monsieur. — Qui es-tu ? dit Piedaigrette. — C’est moy ! Monsieur. — D’où viens-tu ? où vas-tu ? Es-tu chrestien ou mahometiste ? Ventre sainct Quenet4 ! dis-le moy, ou tu es mort ! — C’est moy ! Monsieur, dit maistre Guillaume. Piedaigrette s’aprochant de plus près, encore qu’il ne fust pas trop asseuré, maistre Guillaume le recogneut, et, criant comme un veau, luy dit : C’est moy ! c’est moy ! de par le diable, mon amy, tes fortes fiebvres quartaines ! c’est moy, Piedaigrette, mon amy. Luy, estonné de ceste rencontre, luy dit : Eh ! c’est donc toy, maistre Guillaume ? Çà, cà, que je t’acolle ! Hé, hé, mon bon amy ! qui t’ameine en ces quartiers ? — C’est moy-mesme, dit maistre Guillaume. Mais toy, de quel quartier viens-tu ? je te prie de me le dire. Après les acolades et bien venues faictes l’un à l’autre, Piedaigrette luy dit : En bonne foy, mon amy,


4. Ce juron se trouve souvent dans Rabelais. Nous ne savons pourquoi le patron breton saint Quenet ou saint Kent y est invoqué de préférence. On juroit aussi par la dive oye Guenet.