Page:Variétés Tome III.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Semons-en ceste place, ornons-en ce repas ;
Non pour ce que l’odeur en est plaine d’appas,
Mais pour ce que ces fleurs n’ont rien de dissemblable
À la vive couleur de ce vin tant aimable,
Qui resjouit nos yeux de son pourpre vermeil,
Et jette plus d’esclat que les rais du soleil.
Profanes, loing d’icy ! que pas un homme n’entre
S’il est du rang de ceux qui n’ont soin de leur ventre,
Qui fraudent leur genie, et, d’un cœur inhumain,
Remettent tous les jours à vivre au lendemain !
Mal-heureux, en effect, celuy-là qui possède
Des biens et des thresors, et jamais ne s’en ayde !
Tandis qu’on a le temps avecque le moyen,
Il faut avec raison se servir de son bien,
Et, suivant les plaisirs où l’age nous convie,
Gouster autant qu’on peut les douceurs de la vie.
Quand nous aurons faict joug à la loy du trespas,
Nous ne jouirons plus d’aucun plaisir là-bas ;
Nous n’aurons plus besoin de celliers ny de granges
Pour enfermer nos bleds et serrer nos vendanges ;
Mais, tristes et pensifs, accablez de douleurs,
Nous ne vivrons plus lors que de l’eau de nos pleurs.
Chers amis, laissons là ceste philosophie ;
Que chacun à l’envy l’un l’autre se deffie
À qui rendra plus tost tous ces vaisseaux taris !
Six fois je m’en vas boire au beau nom de Cloris6,
Cloris, le seul desir de ma chaste pensée,
Et l’unique suject dont mon ame est blessée.



6. C’étoit l’usage antique de boire à la santé d’une maîtresse autant de fois qu’il y avoit de lettres dans son nom. Ronsard