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— Vous verrez, nous disait-il, c’est une nature pas banale et je suis sûr qu’il vous intéressera.

La présentation finit par avoir lieu. Au jour fixé, nous vîmes arriver un garçon trapu, rablé, un vrai gars d’Auvergne, le front large et puissant, de gros yeux pleins de vie, une physionomie des plus mobiles et, dans toute sa personne, une rondeur joyeuse qui vous prenait du premier coup. Sa position sociale était d’être employé au Ministère de l’Intérieur, mais on devinait sans peine qu’il devait étouffer au milieu des paperasseries du bureau et que, seul, le démon de la musique le tenait de la tête aux pieds. Une fois au piano, il se grisait, s’emballait, se démenait avec une fougue bouillante, se plaisant à faire jaillir sous ses doigts les sonorités les plus abracadabrantes, au risque même de martyriser le fragile instrument qui n’en pouvait mais et semblait demander grâce. A ce moment-là, c’était bien l’homme né pour écrire quelque Gargantua énorme et outrancier. Puis, soudain, l’orage se calmait : ce n’était plus qu’un murmure, un souffle, un soupir ; le possédé de tout à l’heure se pâmait avec délices dans les douceurs infinies d’une mélodie langoureuse — pour se replonger bientôt après dans l’ivresse du bruit et des rythmes fous.