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pour récolter la quotité de caoutchouc étant, en moyenne, de vingt à vingt-cinq jours, car les indigènes doivent voyager quatre ou cinq jours pour atteindre l’endroit ou se trouvent les lianes et mettent dix à quinze jours pour collecter le montant requis. À N’Gali le consul général, américain était présent à la livraison du caoutchouc ; il remarqua que les montants appelés et notés dans les livres n’étaient pas corrects, et, comme il attirait l’attention sur ce fait, on lui répondit que la balance n’était pas juste, qu’elle marquait un kilo et demi de plus que le poids exact. Mais, « en admettant même que ce fût vrai, ajoute-t-il, les indigènes étaient trompés sans merci, car j’ai très bien vu des paniers pesant 6 1/2 à 7 kilos, taxés à 4 ou 5, et, souvent, des paniers de plus de 5 kilos taxés à 3. Je suis resté deux heures à contempler ce spectacle édifiant et, pendant ce temps, vingt ou vingt-cinq hommes avaient été conduits en prison, pour manquants[1]. »

C’était, à cette époque, le lieutenant A…, de l’armée belge, qui était chef de la zone de la Mongala, parcourue par M. Smith. Sous son administration, cette zone produisait mensuellement 60 tonnes de caoutchouc, c’est-à-dire plus qu’à l’époque où elle était exploitée directement par la Société Anversoise. Mais on ne tarda pas à apprendre par quels moyens ces résultats étaient obtenus. À la suite d’une plainte des missionnaires protestants d’Upoto, le parquet ouvrit une instruction contre A… et un grand nombre de ses subordonnés. Cette instruction ne donna pas, d’abord, des résultats bien certains et on autorisa le principal inculpé à rentrer en Europe. Ce ne fut qu’après son départ, que beaucoup de témoins indigènes se décidèrent à parler, et, sur leurs dépositions, A… fut condamné par défaut à douze ans de servitude pénale, pour des faits ayant entraîné la mort de plus de soixante noirs. Le jugement déclarait que le coupable eut dû être condamné à mort, mais qu’il y avait lieu de tenir compte de ce qu’un long séjour parmi les indigènes avait dû lui enlever tout sentiment d’humanité !

Après le départ d’A…, cependant, et à la suite du rapport de M. Smith, des mesures furent prises pour adoucir le régime de corvée qui pesait sur les indigènes.

  1. Africa, n° 1. 1908. 10.