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Dans la Mougala, par exemple, où, deux ans auparavant l’on faisait, régulièrement, 60 tonnes de caoutchouc par mois, la production mensuelle était tombée à moins de 20 tonnes. Au lieu d’aller, tous les mois, pendant deux ou trois semaines en forêt, les indigènes n’y allaient plus que tous les trimestres, et, peu de temps après notre passage, la récolte dut être complètement suspendue.

Il est vrai que dans d’autres districts, où la contrainte avait été moins violente, le fléchissement des récoltes était moins sensible ; mais, partout, l’épuisement des forêts, le mauvais vouloir croissant des indigènes, le relâchement de la contrainte conduisaient plus ou moins rapidement le système à une véritable banqueroute. C’est ce que m’expliquait, en ces termes, un des hauts fonctionnaires congolais qui, résidant au cœur de la région caoutchoutière, parlait d’expérience :

« Dès à présent, on peut dire qu’indépendamment de toutes considérations humanitaires, le travail forcé pour le caoutchouc est virtuellement condamné, pour des raisons d’ordre économique. D’une part, il pousse les indigènes à couper les lianes parce qu’ils espèrent que, le jour où il n’y aura plus de caoutchouc, on les laissera tranquilles. D’autre part, comme travail forcé signifie toujours mauvais travail, ils fournissent du caoutchouc de qualité inférieure, en mélangeant au latex des gommes de mauvaise qualité.

« Au surplus, les forêts s’épuisent ; les grosses lianes deviennent rares ; les autres ne seront pas exploitables avant plusieurs années. Aussi faut-il qu’on se résigne, qu’on laisse reposer les forêts de caoutchouc, jusqu’au jour où les jeunes générations, n’ayant plus les répugnances des anciennes, se mettront à travailler pour le commerce libre[1]. »

Ces prévisions pessimistes n’ont certes pas empêché que, depuis lors, les hauts prix du caoutchouc aient à peu près compensé le déficit de la production ; mais, dans les régions,

  1. Vandervelde. Les derniers jours de l’État du Congo, p. 166. Bruxelles