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fait de la C. K. (Compagnie du Kasaï), la nouvelle politique de l’État aboutissait à incorporer la plus grande partie de l’immense territoire du Congo dans son Domaine, exploité directement par lui, ou par des Sociétés comme l’Abir, auxquelles il allait jusqu’à fournir de la poudre et des armes, pour l’aider dans l’accomplissement de sa mission gouvernementale !

Il est vrai que, dans la forme, les décrets nouveaux n’abrogeaient point les décrets de 1885 et 1886 relatifs aux droits des indigènes sur les terres occupées par eux. D’autre part, un décret, également daté du 5 décembre 1892, prescrivait une enquête en vue de déterminer les droits acquis des indigènes en matière d’exploitation du caoutchouc et d’autres produits végétaux, dans le territoire du Haut Congo, antérieurement à la promulgation de l’ordonnance du 1er juillet 1885.

Mais cette enquête n’eut lieu que pro forma. Elle ne fut ni contradictoire, ni même sérieuse. Elle ne releva des faits d’exploitation commerciale du caoutchouc par les indigènes, avant 1885, que dans le bassin de la Lulua et dans la partie méridionale du Lunda[1]. D’autre part, l’interprétation donnée aux mots « terres occupées par les indigènes » devint tellement restrictive, qu’elle aboutit à les déposséder à peu près complètement[2].

Seulement, il ne suffisait pas de s’approprier les terres dites vacantes et de s’attribuer les fruits du Domaine ainsi constitué. Encore fallait-il avoir des travailleurs pour les récolter. Or, les noirs, qui ne se refusent pas au travail du caoutchouc dans les colonies françaises, anglaises et portugaises de l’Afrique occidentale, où on leur paie la pleine valeur de leur produit, manifestaient, au contraire, pour ce même travail, la plus vive répugnance, dans les forêts congolaises, où on offrait de leur payer, non le prix du caoutchouc qu’ils appor-

  1. Voir Vermeersch. La Question congolaise, p. 127. Bruxelles, Bulens, 1906.
  2. Cf. Rapport de la Commission d’enquête, Bulletin officiel de l’État Indépendant du Congo, 1905, nos 9 et 10, p. 151.