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§ 4. — La possibilité du travail libre.


Adversaires de toute exploitation de l’homme par l’homme, les socialistes ne peuvent que condamner, d’une manière absolue, tous les systèmes qui, sous des noms divers, aboutissent à contraindre les indigènes à travailler au profit des colons, ou du gouvernement des colons. Ils ne sont pas seuls, d’ailleurs, à penser ainsi. Des économistes comme MM. Girault et Leroy-Beaulieu[1] se prononcent dans le même sens et sont d’avis que, si le recours à la contrainte peut donner des résultats momentanés plus rapides, c’est aux dépens de l’avenir.

Sans doute. — dit M. Leroy-Beaulieu, — on pourrait inventer des systèmes ingénieux, qui masqueraient l’iniquité du procédé. On pourrait dire, par exemple, qu’un blanc, habitant le continent de l’Europe, est assujetti à deux ou trois années de service militaire, et, une fois ce temps accompli, à plusieurs périodes successives de vingt-huit jours ou de treize jours de même service ; ainsi on pourrait imposer aux noirs adultes de pareilles durées de travail, soit sur les chantiers publics, soit sur des chantiers privés déterminés. On pourrait invoquer à l’appui de cette assimilation entre le temps obligatoire du travail des noirs et le temps obligatoire du service militaire des blancs, des raisons captieuses.

Mais, au fond, cette œuvre est mauvaise. Elle ferait fuir les noirs des districts où l’on introduirait ce système ; elle dépeuplerait ces régions. Elle associerait, en outre, étroitement, chez ces populations l’idée du travail, surtout du travail au service des blancs, à l’idée de contrainte et de servitude. Il en résulterait que le travail serait de plus en plus méprisé et honni par elles. Au lieu de préparer et d’initier les indigènes à un labeur volontairement accepté, ou même recherché, on rendrait leur esprit complètement réfractaire à cette idée.

On ne saurait mieux dire.

Mais, dès l’instant où l’on renonce, systématiquement, à la corvée, à l’impôt en travail, aux autres formes, plus ou moins avouées, de contrainte, est-il possible de recruter une

  1. Girault. Principes de colonisation et de législation coloniale II, p. 475. — Leroy-Beaulieu. De la colonisation chez les peuples modernes, 5e édit. II, pp. 609 et suiv.