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de coussins turcs, à fines broderies de perles scintillantes ; et c’est, dans tous les coins, des plantes exotiques à feuillage d’un vert intense, un amoncellement d’objets rares ou précieux, de meubles artistiques ou de sièges bizarres, d’un dessin et d’un ton séduisants…, depuis les bibliothèques de chêne, fermées de vitraux peints, jusqu’au bureau Henri III, très grand, très imposant, qui prend le milieu de la chambre, le jour lui venant de gauche, pour la facilité d’écrire, et où un gros bouquet d’œillets et de crysanthèmes, dans un vase de Sèvres rose, produit une opposition heureuse avec la masse désordonnée des feuillets épars, des brochures ouvertes, des grattoirs, des ciseaux, des boîtes à plumes, des sandaraques, de tout l’outillage menu et banal du métier littéraire. Aucun bruit, sinon celui des buches qui gonflent, crépitent et s’écroulent l’une sur l’autre dans la cendre du foyer, ne rompt le silence charmeur de ce cabinet de travail où chaque chose et jusqu’à l’éclairage, jusqu’au décor extérieur montrant, au-dessus des beaux arbres d’un parc, un coin de ciel pur que traverse, soudain, un vol de pigeons blancs, semble choisie et combinée exprès pour le plaisir des yeux, pour l’incitation au recueillement, précurseur et moyen de la production intellectuelle. Il y a de l’imprévu et du pittoresque dans la déroute des bibelots, une harmonie bien entendue dans la manière dont les étoffes sont drapées, un je ne sais quoi d’exquisement quintessencié et d’une recherche supérieure dans tout l’ensemble ; il traîne, dans l’atmosphère, ce montant spécial, ce rien d’excitant et de capiteux qui est ce que laisse derrière soi de caractéristique l’exercice de l’art immatériel par excellence, l’effort fécond d’un cerveau d’écrivain.

Et, vraiment, cet intérieur est ainsi fait pour ce résultat, pour l’aisance et l’agrément du travail d’un homme qui a beaucoup travaillé déjà et qui, étant bien de son temps, de notre siècle de sybaritisme et de mièvrerie, se rend compte de l’influence qu’aura le milieu, même sur cette faculté presque divine de la création artistique et s’étonne, comme d’un prodige, de ce que certains chefs-d’œuvre aient pu être conçus en des greniers misérables ou écrits à la chandelle.

Jean Dovey n’est pas un puissant, mais un délicat très impressionnable, qui a l’observation précise et plutôt intuitive que savante ; il est né avec ce don de bien voir et de voir jusqu’au fond de toutes choses ; par exemple, son talent ne dépasse jamais l’analyse de ce qu’il a vu ou ressenti, et aussitôt qu’il lui faut coordonner les faits que la réalité lui a fournis successivement, composer un tout bien homogène, une unité