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Il la ramassa, la goûta et la rejeta aussitôt avec horreur C’était comme du feu.

— Où sommes-nous ? s’écria-t-il. Nous sommes-nous levés pendant le sommeil ? Avons-nous erré par la terre, comme des somnambules, tandis que nous dormions ? Est-ce ici la Mésopotamie, ou l’Arabie heureuse, que les pommes d’or y croissent sur les arbres et que les oiseaux y parlent ! Et quel est ce fleuve, là-bas, ce grand fleuve scintillant ? Est-ce la petite rivière que nous avons quittée hier ! Tout a bien changé.

— Que les dieux soient bénis ! s’écria le prince. Nous avons dormi longtemps, très longtemps. Attendons-nous à voir un monde nouveau, un siècle nouveau. Mais ne manifestez donc pas tant de surprise !

— Maître, dit Saturne, ne croyez-vous pas qu’il est temps de se lever, à présent ? Voici le jour. Nous pourrions nous baigner, là-bas, dans ce beau fleuve.

— Oui, répondit le prince, à qui le flegme de Saturne faisait plaisir, oui, et allons nous purifier de la terre ancienne.

Tous deux allèrent se baigner.

En sortant de l’eau ils se mirent au soleil et restèrent quelque temps assis, nus, dans l’herbe et les fleurs. Saturne retira de son sac le pain qui n’était plus qu’un caillou noir et le lança dans l’eau ; puis il prit ses vêtements de fête, son épée et sa flûte. Mais le vêtement, qui autrefois avait été de satin jaune, était passé au point de ressembler à du damas de vieil or. Il donnait à Saturne l’allure d’un des personnages légendaires qu’on voit aux vieilles tapisseries, figure que complétait à merveille l’épée dont il se ceignit et la flûte qu’il tenait en main. Il acheva sa toilette par un chapeau de soleil qu’il cueillit dans la prairie parmi les innombrables champignons bleus. La plupart étaient devenus gigantesques et formaient une coiffure fraîche et légère, faite à souhait pour Saturne, lequel, comme Socrate, était chauve. Mais le prince, dédaigneux de vains atours, resta nu, tel qu’il venait de sortir du fleuve. Il ressemblait ainsi, dans l’air tiède et radieux de ce beau jour, à Apollon Cynthien, dont il avait le visage, les longs cheveux bouclés et l’allure juvénile et triomphante.

— Par les dieux ! dit-il, ce doit être aujourd’hui jour de fête en la terre entière, tant il fait joyeux et serein. Allons voir le monde !

Mais avant de partir, ils décidèrent d’inspecter l’horizon du haut de leur rocher qu’ils nommèrent la grotte du Sommeil. Vue de là, la ville présentait un aspect fantastique.