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Lorsque le prince de Cynthie s’éveilla, le soleil était déjà haut dans le ciel. Saturne, qui attendait au chevet du lit de son maître, en écarta les grands rideaux de mousseline.

On était au printemps. Par la fenêtre s’apercevaient les toits et les tours d’une ville gothique. Des sons de cloches, des voix d’enfants, de femmes, de marchands s’élevaient dans les airs.

Le prince, assis sur son séant, écoutait cette rumeur avec une expression d’étonnement telle qu’on eût dit qu’il l’entendait pour la première fois.

C’était un jeune homme, au visage pâle, aux traits aristocratiques et affinés. Avec ses yeux bleus, sa longue chevelure blonde et ses longues mains fines, il ressemblait à une jeune fille.

Saturne, n’osant troubler le prince qui peut-être s’attardait au bord d’un de ses rêves, attendait, silencieux, qu’il lui adressât la parole.

Enfin celui-ci lui demanda :

— Où suis-je ?

— Où vous êtes, Seigneur ? Mais sur la terre.

— Quel jour est-ce ?

— Dimanche.

— Quel mois ?

— Avril.

— Pourquoi font-ils ce vacarme ?

— On fête Pâques, dans l’illustre ville de votre père.

— Oui, je me souviens, dit le prince, et il écouta encore.

En ce moment, la grosse cloche se mit à sonner, un âne à braire sur la place, puis deux, puis plusieurs et l’on entendit meugler un bœuf.

Alors il se fit un silence, immédiatement suivi de cris divers et d’une bruyante fanfare qui déboucha sur la grand’place.

— Pourquoi font-ils toute cette musique, demanda le prince, et sonnent-ils le bourdon de fête ?

— Que Votre Seigneurie, répondit Saturne, me permette de lui rappeler que c’est aujourd’hui Pâques, le jour où le Christ est ressuscité, où s’ouvre la foire traditionnelle de Porqueville et où sort le cortège du bœuf gras. Et se penchant à la fenêtre, il ajouta :

— Toute la ville est déjà en habits de fête. Que de monde ! Voici la corporation des bouchers qui défile sur la place, musique en tête. Ils ont un grand drapeau de velours rouge où une lyre dorée est brodée. Ils se rendent à l’église pour la messe des actions de grâces. Et voici le syndicat des Épiciers et des Charcutiers ! Qu’ils sont nombreux ! La