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Dans la lune ? Au centre de la terre ? Dans un domaine de fées ? Dans l’Olympe, au Walhalla, aux jardins de Mahomet, dans l’une des souargas, dans le paradis de quelque religion inconnue et qui était malencontreusement la seule vraie, sans qu’il s’en fût jamais douté ?

Et des doutes l’envahirent sur la réalité même de ce Paradis. Est-ce qu’en somme il ne s’abusait pas ? Tout cela existait-il vraiment ? Quelqu’un, qu’il avait cru fou, n’avait-il point prétendu que les choses extérieures n’avaient pas d’existence propre, que ce n’étaient que des créations du cerveau de l’homme, que le ciel ne consisterait que dans une sorte de perpétuation hallucinée et comme tangible de ces imaginations d’enfance ? Était-il dans un ciel de cette espèce ?

Mais que ces phénomènes fussent les simples résultats de son cerveau, il se refusait à le croire. Il en avait eu tantôt un véritable démenti dans la résistance de l’arbre à cette fatale attraction d’en haut. Tout ceci n’était que trop réel. Peut-être n’était-il pas mort. Serait-il devenu fou ? Était-ce une monomanie, ce ciel ? Une folie raisonnante puisqu’il la raisonnait ? Abîme de sinistres pensées ! Il avait entendu conter des cas bizarres. Des hommes se croyaient Dieu et agissaient en conséquence. La terre leur paraissait, justement, un lieu de délices perpétuelles.

Mais pouvait-on être si consciemment fou ? Avec une pensée calme à ce point-là, et sceptique ? L’hallucination était plus probable. Des faits analogues s’y produisent. Des corps font obstacle, on agit, on se meut, on raisonne. Des somnambules marchent dans les gouttières, comme des chats, avec sûreté ; il avait vu des magnétisés tomber à genoux devant on ne sait quels Paradis invisibles, faire des signes de croix, et donner des symptômes flagrants de béatitude.

Une simple congestion au cerveau avait pu produire cet effet, les vapeurs de tout le vin qu’il avait bu à la fête, la suffocation de la fève ; et l’idée plus simple qu’il s’était endormi à table et qu’il rêvait, malgré l’insolite de cette constatation, finit par triompher de toutes les autres, par s’emparer en maîtresse de son esprit. Ce fut comme une aurore. Tout s’éclairait maintenant et apparaissait sous son vrai jour ; il ne put réprimer un sourire en songeant à toutes les tristesses, à toutes les colères, à toutes les terreurs qu’il avait subies. Il dormait certes au milieu des siens, ce soir de fête ; on continuait la musique et le chant ; l’éclat des lumières impressionnait ses yeux. Sans doute était-il près du réveil puisque ses idées devenaient si extraordinairement lucides. Et il reconnut, sauf ce détail de peu d’importance, toute la vraisemblance de cette opinion : l’incohérence des images dans le rêve, leur