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lui que chaque musicien jouait son air propre, sans s’inquiéter de ceux des autres, ni suivre aucune mesure, et une telle chose était monstrueuse, en dépit de tout bon sens, et le révoltait à tel point qu’il se boucha les oreilles pour ne plus l’entendre.

Subitement, il eut une terreur immense à l’idée des sacrilèges pensers qu’il venait d’avoir là, en plein Ciel, au risque d’être cent mille fois précipité dans l’enfer pour cause d’indignité. Il attendit quelque temps, persuadé qu’il allait être pulvérisé, mais comme rien ne se passait, il se rassura, et désormais il se crut bien définitivement établi en possession de ses droits, inamovible.

Et il prit un peu plus d’aisance et de liberté ; même un certain sourire léger et entendu remplaça sur ses lèvres la stupeur froide des heures précédentes et il n’aurait pas été loin de descendre de son arbre, si, malgré tout, l’anomalie de ce Ciel ne lui eût toujours inspiré une vague défiance.

En somme, on avait l’éternité. Mieux valait être prudent, inspecter, et réfléchir à toutes ces choses avant de prendre son parti, avant d’obéir à ces belles sirènes ailées dont la nudité dangereuse eût pu le compromettre. Il se contenta donc d’ouvrir largement son esprit à toutes les conjectures ; cette allure de libre-pensée, qu’il avait parfois dangereusement affectée pendant sa vie, ne lui déplaisait pas. Au fond, il aimait l’audace, pourvu qu’elle connût des bornes et fût simplement imaginative ; l’audace de l’action, comme celle par exemple de descendre inopportunément de cet arbre, étant le fait des sots. Donc, avec un petit air voltairien, il se mit à songer et, immédiatement, un doute se fit en son esprit.

Si ce n’était pas le Ciel ? Il y avait bien des raisons, toutes plausibles. Rien de cela ne lui avait été enseigné. La conception même de ce Ciel manquait de caractère religieux, absolument. Puis c’était un Ciel impossible, écrasant, en contradiction flagrante avec toutes ses idées de bonheur. Son désir allait bien au delà. C’était une déception, et sauf les délicieux anges, dont les libres allures l’offusquaient même un peu, quel rapport avec la profonde austérité des dogmes qui lui avait été si bien prêchée, et quoiqu’il ne fût pas puritain, loin de là ! avec les simples règles même d’une pudeur bien entendue ?

Ensuite comment était-il là ? Sa place, il se l’avouait en toute humilité, était au purgatoire. Dans le vrai Ciel ce n’eût pas été si facile, et la comparaison du chameau et du trou de l’aiguille lui revint en mémoire.

Mais s’il n’était pas au ciel où était-il donc ? Au Paradis terrestre ?