Page:Van Lerberghe - Contes hors du temps, sd.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

laiteuse, car elle avait jusqu’au goût du lait, une innombrable foule d’anges nouveaux dont les visages y semblaient comme en fusion et dont les corps ondulaient comme des flammes en un soir d’orage, se distinguait à d’incalculables distances, une sorte de zone incandescente et sonore qui semblait converger en éclat vers un point unique, Dieu sans doute, qu’il n’osa plus regarder de peur d’y être de nouveau attiré. Et cela n’avait pas l’air d’être. Tout se mêlait, rien n’était plus limité ni distinct ; tout semblait retombé en enfance ; rien n’avait une couleur propre et tout était multicolore ; le son ne se définissait plus de la lumière, ni la lumière des ombres ; malgré le prodigieux remuement des choses, tout semblait immobile, unique et simple ; simple, mais non facile à dire, d’autant plus qu’il ne pouvait trouver aucune image équivalente à ces inconsistantes perceptions, si ce n’est un grand bonheur en été au bord de l’eau, sous des arbres, ou le long courant froid de l’extase dans la moelle épinière ; et qu’il ne s’attendait à rien de ce genre, s’étant toujours figuré le ciel comme un salut solennel dans un cirque énorme, avec des gradins et des stalles de diamant, où des saints étaient assis autour de la Trinité, pendant que les anges encensaient et que les orgues entonnaient des cantiques. Ce ciel-ci, à force d’être tout à la fois, n’avait plus de caractère personnel. Ce n’était pas laid, à vrai dire, mais cela choquait. L’impression était fâcheuse. On n’y voyait que du feu. Quel ciel était-ce donc là ? Et que lui avait-on enseigné dans le catéchisme ? Où était, par exemple, la Sainte Vierge, où étaient les saints ? Où étaient son père et sa mère, son oncle, son aïeul, toute cette famille qu’il devait y revoir et serrer sur son cœur ? Ce n’était donc pas ce qu’il avait cru ? Mais comment alors avait-il pu se sauver ?… Certes, pour beau que fût ce spectacle étrange, il se l’était imaginé plus beau encore. Celui-ci, avec ses allures fantastiques, était peut-être, comme on dit, plus sublime, mais il manquait d’ordre, d’ensemble, en un mot, de goût. C’était l’œuvre d’une imagination exaltée, rebelle aux règles. La lumière surtout, cette lumière aveuglante le choquait par sa violence. Il eût fallu positivement des lunettes bleues pour bien voir là-dedans. Enfin c’était un ciel par trop subtil, trop éthéré, trop métaphysique. De telles choses ne se concevaient pas par les sens comme une belle fête, il y fallait une application d’esprit. C’était du plaisir géométrique, un paradis de savants, de poètes. Ce qui lui déplaisait par-dessus tout, outre le parfum persistant de son arbre, c’était la musique de l’espace. Impossible de s’imaginer quelque chose de plus bruyant, de plus discordant, de moins mélodieux. Il était évident pour