Page:Van Lerberghe - Contes hors du temps, sd.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Puis il ne sentit plus qu’une énervante odeur de fleurs, à en défaillir, et qui semblait venir de là.

Mais cette odeur, il la reconnut bientôt, c’était celle des fleurs de son arbre, d’étranges longues fleurs blanches, comme il crut en avoir déjà vu, et qui, au moindre souffle, exhalaient un arome qui l’enivrait et dont il avait peur. Alors abandonnant ses songeries il s’occupa prudemment à cueillir une à une toutes celles qu’il pouvait atteindre, sans bouger de sa place, et à les jeter dans cette plaine, où elles se fondaient comme une neige dans de l’eau.

Cependant la grosse cloche de l’église paroissiale semblait sonner à ses oreilles et brusquement, tandis qu’il cueillait toujours des fleurs, il vit le corbillard devant sa porte : les voitures amenaient la famille, tout un attroupement s’était formé. Deux croque-morts sortaient de la maison à reculons, amenant le cercueil. Il y avait un grand silence. Des gens se penchaient à toutes les fenêtres, tout le monde se découvrait. Il en éprouvait une gêne véritable. Puis le corbillard se mit en marche en oscillant, couvert de couronnes, et la solennelle file des carrosses s’ébranla.

À l’église, le curé l’attendait avec ses chantres en surplis et ses acolytes portant la croix et les deux drapeaux noirs. Et c’était l’offertoire, le défilé de tous ses parents, amis, clients et fournisseurs à côté du grand catafalque. Ils passaient un à un à sa droite, en main un cierge crépitant où se trouvait une pièce de monnaie, puis repassaient à sa gauche, sans le cierge ; on encensait le cercueil, on l’aspergeait à la porte, on jetait dessus des pelletées de terre. Au cimetière aussi, on en jetait sur lui dans la fosse ; c’était comme des coups de tambour ; et il s’interrompit brusquement de jeter des fleurs, tant cette action lui sembla acquérir dans cette circonstance une signification douloureuse.

Pour chasser ces idées, il rouvrit les yeux et s’intéressa au ciel. Il comprit maintenant qu’il n’y avait autour de l’arbre où il était assis qu’une atmosphère impondérable et infinie dans laquelle se mouvaient librement les anges. Puis il regarda en haut et s’envola comme un ballon dans les branches. La tension de toute son âme vers la fulgurante merveille qu’il venait d’entrevoir là-bas avait été si forte, qu’il s’y serait inévitablement allé cogner au risque de pires malheurs, si un subit instinct de conservation ne l’eût fait solidement se cramponner juste aux dernières branches de la cime de l’arbre.

De ce point d’observation, il pouvait contempler, à loisir, les miraculeuses merveilles du ciel. À travers une infinie vibration de lumière