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LES POÈTES DU TERROIR


Et ce fut un spectacle étrange et formidable.
Les combattants, avec un bruit épouvantable,
La terre, l’eau, l’air et le feu,

Se croisant en tous sens comme une immense armée,
Et mêlant leurs débris, leurs éclairs, leur fumée,
Hurlaient sous le regard de Dieu.

Bientôt l’eau recula tremblante vers la plaine ;
Mais les volcans jaloux et sans reprendre haleine,
Insultant le Dôme hautain,

Crachaient des blocs ardents du fond de leurs abîmes,
Acharnés, flamboyants, faisant rougir les cimes
Blanches de neiges au lointain.

Ils rugissaient autour du sommet qui les brave.
Ils écumaient de rage, et leur brûlante lave
Se répandait comme un torrent ;

Et tous, sans se lasser, effrayant l’étendue.
Recommençaient toujours leur attaque éperdue
Aux pieds du cône indifférent.

Pareils à des Titans armés de catapultes,
Bien longtemps ces lutteurs vomirent leurs insultes,
Incendiant le ciel vermeil ;

Et lorsque fut éteint le feu qui les dévore.
Bien longtemps leur fumée obscurcissait encore
L’azur céleste et le soleil.

Un jour tout s’apaisa. La funèbre nuée
Se dissipa. La terre affreuse, bossuée.
Referma ses flancs entr’ouverts,

Froids sous le dur granit et les rouges scories ;
Et les volcans éteints, ces mamelles taries.
Blanchirent par les longs hivers.

La plaine se couvrit de frondaisons superbes.
Mais du sol calciné les arbres ni les herbes
N’osaient parer la nudité ;

Et le Puy, dont le front portait plus d’une entaille,
Muet contemplateur de ce champ de bataille,
Se dressait dans sa majesté.

(Poèmes d’Auvergne, 1882.)