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mais encore usant avec art de nos vieux dialectes provinciaux dont il a une connaissance parfaite, il prouve que notre langue vulgaire n’est pas aussi inepte, indigente et méprisable que « les rappetasseurs de vieilles ferrailles latines, reuandeurs de vieux mots latins tous moisis et incertains[1] » osaient alors le soutenir. Il s’efforce donc avec raison de réagir contre de fanatiques lettrés qui tendaient à faire de notre langue une langue pédantesque, une contre-façon du grec, surtout du latin. L’idiome de nos chroniqueurs et de nos conteurs avec ses grâces enfantines, la naïveté, l’enjouement, une bonhomie maligne où se mêlent de la rudesse et une sorte de licence ingénue, ne peut lui suffire : il faut à sa pensée un vêtement plus ample, d’une trame plus fine, d’un cachet viril et d’une couleur plus gaie. Il crée des mots heureux d’une physionomie expressive, invente pour ainsi dire le langage dont il a besoin pour mettre en relief son pantagruélisme, et faire parler, comme il convient, les personnages d’un nouveau genre qu’il met en scène, donne à sa prose une allure libre et décidée, de l’ampleur et de l’harmonie, mais parfois un tour

  1. Pantagruel. Prologue du livre V.