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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

tordre quelquefois, quand ils s’escrimaient inutilement. Nous avons été deux longtemps ; j’avais un voisin aimable, ancien économe de lycée disgracié, qui savait beaucoup et disait bien. Nous causions religion et métaphysique — à l’oreille. Enfin la conversation tombait, on se souhaitait une bonne nuit, on s’arrangeait sur la dalle et l’on dormait.

À la suite d’une arrestation en 1862, je ne couchai plus sous l’Odéon que de loin en loin, par-ci par-là, et je me mis en quête d’un nouvel abri.

Mon arbre des fortifications était toujours debout, mais il se trouvait prisonnier maintenant. La banlieue vient d’être annexée, et on a éclairé le chemin de ronde qui longe les fortifications. Les sergents de ville y exercent la surveillance, concurremment avec les patrouilles de gabelous.

Il faut gagner la pleine campagne.

Je reste dans le département, mais je dépasse le rayon de la banlieue.

Je choisis sur le territoire d’Arcueil un arbre qui ne vaut pas l’autre ; je viens y coucher tous les soirs.

Une fois pourtant je ne rentrai pas.

Vous souvient-il de ce banquet à une table de la Californie sous les grands marronniers, où, à la lumière des lanternes, sous le ciel tiède, nous vidâmes