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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

C’est de l’intérieur des fortifications, autour desquelles j’errais, que j’ai entendu les tambours de la garde nationale battre la diane du 1er  janvier 1858. Le froid avait été rude pendant la nuit ; j’avais dû presque tout le temps tourner autour de mon arbre. Je vis sur le matin l’herbe verte du glacis blanchir en se couvrant de givre ; les tambours au loin battaient joyeux, et, le soir, quand je revins, je ne rencontrai sur mon chemin qu’enfants heureux et pères ivres.

Moi je suçais des écorces d’orange pour tromper la faim.

En 1862, au printemps, la misère revient ; le lit me manque. Je retourne coucher sous l’Odéon, où j’ai dit que j’avais déjà demeuré ; mais je n’ai point, je crois, expliqué comment. Il y a, on le sait, aux portes des théâtres, des barrières qu’on dresse, le soir, pour maintenir le public qui fait la queue, et qu’on démonte après l’entrée. Le concierge de l’Odéon dressait ses barrières contre le mur, et je me glissais derrière. J’y étais parfaitement à l’abri, grâce à la précaution que je prenais, en me faufilant, de disposer les cloisons, de façon que les barreaux des unes couvrissent les interstices des autres, si bien que l’épée des sergents de ville, quand ils tâtaient, rencontrait toujours le bois. Je riais à me