Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

C’était le froid qui me réveillait. J’étais sur la pierre nue, humide ou glacée ; le sang s’arrêtait dans mes veines ; si j’avais eu des habitudes d’intempérance, vingt fois je serais mort ! je me levais, je sortais à quatre pattes de dessous la porte vitrée, écoutant si des sergents de ville ne passaient pas, et je me mettais à courir autour de la Sorbonne, de toutes mes forces, pour me réchauffer un peu. Je rentrais ensuite et je me couchais, pour me relever trois quarts d’heure ou une heure après, quand mes veines charriaient de nouveau des glaçons.

Je fus arrêté cinq ou six fois comme vagabond. Le lendemain, je me faisais réclamer par un pays qui y mettait de la bonne volonté.

Ce séjour de quelques heures au poste, au lieu de me nuire, m’était salutaire. J’étais là dans le paradis, et j’y puisais des forces pour retourner le soir dans mon enfer. On ne me surprit jamais dans mon trou, et on pense bien que je ne le fis pas connaître. Le soir même de ma libération, je retournais derrière la porte ; mais je ne sortais alors qu’à la dernière extrémité, me mordant quelquefois les bras, quand j’avais trop froid, pour y faire venir le sang.

Personne ne me savait là, je pouvais le croire du moins ; je partais quand les plus matineux s’éveillaient ; tout petit, je tenais peu de place et me cachais si bien. Une fois pourtant, à deux heures du matin, par un éclatant clair de lune, je regardais, dans un moment d’insomnie, les étoiles