Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

leur saveur âcre ne me permit pas de faire le festin que je m’étais promis. Le désenchantement fut amer.

L’heure la plus fructueuse et la plus propice pour cette chasse, c’est la sortie des écoles. Les enfants jettent leur pain et les malheureux le ramassent.

J’ai eu pourtant le courage de courir ainsi après les croûtes déposées ou perdues, ayant sous mon bras des douzaines de gros biscuits. Je les avais achetés sur des économies faites dans une place où j’étais resté quelques semaines, et je comptais les revendre dans la campagne de Paris. Après quelques excursions inutiles à travers la banlieue, je me retrouvai seul avec mes biscuits. « Je n’y toucherai, dis-je, qu’à la dernière extrémité. » Mais un soir je n’y pus plus tenir ; le lendemain vit partir le reste. J’avais mangé mon fonds.

On pense bien que, dans cette situation, je n’avais pas de crédit, point de compte ouvert à la Banque. Il m’est arrivé trois ou quatre fois, un jour où je souffrais trop et qu’il fallait me reposer, de ne pas payer dans les crémeries dont j’étais depuis longtemps l’habitué. Mais comme j’étais inquiet au moment de partir ! Je retardais, retardais ce moment ! Enfin, profitant d’un instant heureux je voyais le