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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

Je ne vis mon homme que le lendemain.

« Comment ! lui dis-je, tout grelottant et épuisé, pour un gilet de quatre sous, vous me faites passer une nuit au poste ?

— Il n’y avait personne hier soir à l’adresse indiquée. »

Ce fut là toute son excuse. Je ne répondis pas ; pour peu que j’eusse élevé la voix — et je n’en avais guère la force — on me gardait.

Il était neuf heures. Ma classe attendait. J’arrivai en retard de vingt minutes ; on me traita sévèrement, le directeur me demanda si j’avais passé la nuit avec des femmes, et on me rogna trois sous sur ma leçon de ce jour-là.

Quand il n’y avait ni roman dépareillé ni culotte effrangée à vendre, qu’on n’avait pas un sou, un liard, un centime, et qu’on avait faim, bien faim, alors commençait la chasse.

Des gens charitables qui ont dû souffrir, vident leur poche d’un morceau de pain desséché et le déposent soigneusement sur une borne, un rebord de fenêtre ou parapet d’un pont.

Je partais, fouillant de l’œil coins et recoins. Cette chasse sérieusement poursuivie amenait presque toujours un résultat. Il me fallait quelquefois rôder dans toute une aile de Paris, faire, en tournant et