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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

Il faut descendre, et, presque mourant, battre le pavé pour arriver à ne pas mourir : tout le sang qui vous reste vous monte à la face quand vous passez devant la loge du portier qui pourrait voir que vous avez faim ! Enfin vous voilà dehors ! Cette fois on trouve, il le faut bien ; on trouve, puisque si on ne trouve pas, on est mort.

Mais le supplice n’est pas fini et le danger n’est pas passé. Celui qui vous nourrit ne le fait pas pour assister aux tiraillements tristes d’une agonie, et si l’on veut ne pas se fermer sa table pour la vie, il est bon de lui cacher qu’on est si pauvre ! Aussi l’on mange, on mange de ce qu’il y a, de la choucroûte ou des andouilles, du bœuf à la mode ou du lapin ; on dîne ! Faute inévitable, mais lourde ! Il n’aurait fallu qu’un bouillon ; l’estomac est trop faible pour supporter le poids des viandes, et la digestion est aussi pénible que le jeûne était affreux. Les gens qui vous voient malade crient au vice ; on m’a appelé ivrogne quelquefois, quand je me débattais dans ces convulsions douloureuses.

Quand je calcule quel a été le prix moyen de ma dépense alimentaire, j’arrive à un chiffre de cinq sous par jour ; quelquefois je dépensais six sous, je suis allé jusqu’à sept et même à dix, mais, le plus souvent, je vivais pour trois sous.