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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

pour faire un jour profiter l’humanité de mon savoir ; quelquefois, quand j’étais découragé, ouvrant les livres et la géographie de Maltebrun, et me reportant par la pensée vers les pays bénis où l’homme trouve son dîner pendu aux branches sous forme de fruits savoureux.

Il m’est certainement arrivé de passer trois jours et trois nuits consécutives sans prendre aucun aliment, quoique le fait se soit rarement produit.

Le matin de la troisième journée ou dans la soirée de la deuxième, l’inquiétude devient tellement vive que l’on ne tient plus en place, et la résistance que l’on a pu opposer jusqu’alors à la faim est nécessairement vaincue.

Les souffrances de l’estomac sont à peine sensibles, on n’éprouve dans cette région qu’une douleur confuse ; mais, au bout d’une trentaine d’heures, commencent à se déclarer des battements de cœur violents. La journée est pleine de fièvre, et, si l’on s’est couché le soir sans manger, la nuit qui suit est troublée par des rêvasseries d’halluciné, les oreilles tintent, la tête tourne, le délire commence. Dans un sommeil que l’épuisement impose, on rêve de dindons rôtis, de chapons au lard, et l’on se réveille, la gorge enflammée et sèche, dans un état d’affaiblissement qui est près de se transformer en syncope.