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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

demain, à mon réveil, dans cette chambre grande et froide, la peur me saisit. Le souvenir des misères qu’on m’avait promises me revint à l’esprit, assez effrayant cette fois pour m’engager à reculer si je n’avais été si loin. Mais le calice était plein, il fallait le boire jusqu’à la lie. Je me levai, et, sous le coup d’une terreur panique dont je n’étais plus le maître, je me jetai à deux genoux au pied de mon lit, implorant la miséricorde céleste, demandant à Dieu soutien dans ma défaillance.

Dans la journée, je me fis conduire par le garçon d’hôtel au centre du quartier latin, où j’arrêtai une chambre rue de la Harpe, et j’allai prendre à l’École de droit mon inscription de première année.

Il y a quinze ans bientôt de cela, et je n’ai pas encore pris la seconde. Je n’ai pas non plus reçu une seule fois d’argent, et je n’ai presque rien gagné.

J’avais sollicité pour être écrivain public. Dans une petite échoppe, j’aurais écrit des lettres pour les artisans et les villageois, et, en gagnant mon pain, préparé mon œuvre.

Arriva le coup d’État. Je ne reçus pas de réponse à ma demande ; mes quelques sous s’en allèrent un à un, et je me trouvai, un vilain jour, sans rien, plus rien.

J’allai vendre un atlas qui m’avait coûté sept francs. On m’en donna vingt sous.

Je songeai alors à demander à la littérature des ressources immédiates et sérieuses, et j’écrivis le Spectre noir, élégie.