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LES IRRÉGULIERS DE PARIS.

On fit tout pour me détourner de ce voyage ; on craignait pour moi les orages révolutionnaires de 1852, et surtout on me menaçait de la misère, de la faim, du froid. Je devais, en effet, les connaître. Ma résolution était inébranlable. Je fis ma malle. Elle était presque pleine, grâce à la succession d’un oncle qui m’avait laissé sa défroque : avec ses gilets, en ajoutant des manches, on m’avait fait des paletots qui étaient encore très larges. Car, je dois le dire dès le début, et c’est l’aveu qui me coûte le plus, je ne suis haut que de quatre pieds ; ma petite taille a fait le désespoir de mon enfance et est encore la tristesse de mon âge mûr. On voit pourtant qu’elle me servait à quelque chose, et plus tard encore, elle m’a servi. Quand je couchais sous les arbres et qu’il pleuvait, je n’avais qu’à me plier un peu pour n’être pas mouillé, et je bénissais Dieu, malgré tout, qui m’avait fait petit pour que je pusse, aux heures mauvaises, échapper à l’intempérie de ses saisons et à la colère de ses orages. Je pouvais aussi tenir dans les malles de mes amis.

Quelle voix mystérieuse m’appelait à Paris ? La voix de la gloire, une soif de renom qui ne m’a pas passé, et si je n’atteins pas la gloire ici-bas, ce sera pour l’avoir plus éclatante dans une autre planète. On ne changera pas mes idées là-dessus.

La diligence Laffitte et Caillard me conduisit dans la rue Saint-Honoré. Je pris une chambre à l’hôtel même des Messageries. C’était la nuit : j’étais fatigué, et je m’endormis d’un lourd sommeil. Le len-