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LES RÉFRACTAIRES.

jours ouvrir les cicatrices, arracher les bandages ! Il suffira d’un mot, d’un chant — joyeux ou triste — pour réveiller dans ces âmes malades le fantôme pâle du passé !

Les maladroits !

Que leur demandait-on ? — D’être quelque chose dans la machine, clou, cheville ou marteau, cinquième roue à un carrosse, n’importe ! La société n’y regarde pas de si près, pourvu qu’on ne donne point le mauvais exemple, qu’on ne soit point pour elle un danger.

« Avec ou contre moi ! » telle est son inexorable devise. — Ayez un état, un métier, une enseigne. Qui vous empêche ensuite d’avoir du génie ?

Elle a raison, toujours raison. — Malheur à qui repousse ses avances et veut marcher hors du chemin que la tradition a creusé !

Ou la grand’route ou le ruisseau !

Pour y rouler, dans ce ruisseau, où j’ai vu barboter tant d’âmes, qui furent, m’a-t-on dit, fraîches et fières, il suffit qu’un matin le pain manque et qu’on attende jusqu’au soir pour essayer d’en gagner. S’il hésite une heure, s’il est lâche un moment le réfractaire, tout est dit — eût-il du talent comme quatre, les vertus d’un héros, la santé d’un athlète.

En vain il se repentirait et crierait grâce ! Il est trop tard, la misère le tient, elle l’avalera tout entier. Il a beau se débattre dans ses angoisses, il est pris dans les herbes, il enfonce dans la vase ; garçon flambé,

Un homme à la mer !