Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
LES RÉFRACTAIRES.

Une fois endossé, l’uniforme, c’est comme la chemise de soufre au dos des condamnés, qui les brûlait vivants. Chaque effort fait pour déchirer ce manteau arrachera un cri de douleur, une larme, un sanglot ! Les souffrances des suppliciés duraient un moment — le temps qu’il faut pour rôtir un homme ; les leurs, celles de ceux dont je fais l’histoire, durent des années — le temps de consumer une âme. Ceux que l’on traîne dans des charrettes, les lâches qui ne savent pas mourir, qui sont déjà des cadavres quand arrive le châtiment, ceux-là ne hurlent pas sous la main du bourreau. Il en est aussi, dans ce milieu, qui n’ont pas conscience de leur supplice. Ceux qui ne se sentent pas vivre ne peuvent pas se sentir mourir. Mais ceux qui ont toujours l’orgueil ouvert comme un œil fauve, les gens qui deviennent pâles quand on les plaint, croyez-vous qu’ils souffrent, ceux-là !

La guerre rogne un peu ses héros ; on nous coupe, au lendemain d’une victoire, une jambe, un bras, on nous met des yeux de verre et des mentons d’argent. Une fois le coup de scie donné, tout est dit. Mais le cœur mutilé, lui, poignardé dans cette lutte sourde, atteint par les coups de feu de la vie, on ne l’arrache pas de la poitrine pour en clouer un autre. — On ne fait pas des cœurs en bois. — Il reste là attaché, saignant, avec le poignard au milieu. Riches un jour, célèbres peut-être, ils pourront, ces blessés des combats obscurs, parfumer la plaie, éponger le sang, étancher les larmes ; le souvenir viendra tou-