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LES RÉFRACTAIRES.

un drame à moitié fini ; quelque manuscrit au fond d’une malle, dans un hôtel garni, d’où ils sont partis sans payer ; un bonhomme en plâtre dans l’atelier d’un camarade qui les laissait le jour près de son poêle et la nuit sur son canapé. Voilà tout.

Un soir, dans une brasserie, un ami dira à travers la table : « Vous savez un tel ? il est mort. — Tiens… pauvre diable, il était drôle. — Baptiste une canette ! »

Quelques-uns sont allés, un jour qu’ils étaient plus tristes, se tuer dans un coin, d’un coup de couteau dans le cœur ou d’une balle dans la tête.

D’autres sont revenus clopin-clopant au village, où la mort les a faits héritiers d’un coin de champ, d’une masure avec un jardin ; ils vont causer avec les anciens sur le banc de pierre, à la porte du Lion d’or, et regardent passer les diligences.

Les lettrés, ceux qui arrivaient à Paris pour être ministres de l’instruction publique, ceux-là partent comme professeurs de sixième, dans un collège communal de l’Auvergne ou des Landes ; ils mettent une calotte noire, portent des socques et écrivent dans le journal de la localité. — Ils finissent toujours par battre le principal.

Les inquiets, les ardents, les hommes d’action ceux-là s’éloignent quand les cheveux blancs arrivent, sans qu’ils soient encore chefs d’une armée de volontaires, capitaines de bandits aux Batignolles, faute de mieux ! Tristes d’avoir épuisé leur jeunesse dans une lutte sans témoins, contre des dangers sans grandeur, sous un ciel gris, ils s’en vont au