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l’habit vert.


   Combien de temps, madame, a duré ce manège,
Combien de temps, voyons, ce caprice de neige,
A-t-il mis à se fondre entre mes bras d’enfant,
Et quand vous m’avez dit : « Le bon Dieu le défend. »
Vous ne le savez pas ? on oublie, on est femme,
Moi, je comptais les jours et, je le sais, madame,
Mais avant de jeter le bois mort dans le feu,
Laissez-moi, voulez-vous, me souvenir un peu.


Tenez ! j’ai dans un coin de mon vieux portefeuille,
Marquée à votre chiffre, une petite feuille,
Une dernière fleur que j’ai voulu sauver,
Et qui me fait sourire en me faisant rêver.
On était ce jour-là, ma foi, fort en colère,
On m’appelle gros monstre et petite vipère.
J’avais, s’il m’en souvient, voulu tuer le chat,
Et même demandé, le soir, qu’on l’écorchât.
— Ô femmes, pour payer vos plus humbles caresses.
Nous dépensons pour vous des trésors de tendresses,
Nous vendrions pour vous notre honneur et nos noms,
Mais nous voulons avoir autant que nous donnons ;
Et nous sommes jaloux d’un malheureux sourire,
De la chanson qui plaît, des roses qu’on respire,
Et d’un geste perdu mon âme se blessait…
J’étais jaloux du chat que ma chatte embrassait !


Et vos lèvres n’étaient cependant point avares,
Toujours avant minuit on me donnait des arrhes !
Sous la table en bois blanc, ah ! vous souvenez-vous
Comme j’étais habile à mêler nos genoux !


Ah ! vous souvenez-vous, près du poêle en faïence,
Nous étions là, rêveurs, debout dans le silence,
On avait un quart d’heure, on allait s’enfermer,
Je me tuais, dit-on, madame, à vous aimer.