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L’HABIT VERT.

Ce fut tout pour cette fois. Il eut le courage de passer deux jours sans revenir. On l’attendit et l’on remarqua qu’il manquait. L’albinos, lancé à propos, fut indirectement chargé de le ramener. Il revint comme par hasard, sous l’aile de son ami. À partir de ce moment, il était sûr de vaincre.

Mais, pour conserver avec la passion de l’amoureux le sang-froid de l’observateur, il apporta, ce jeune homme de dix-sept ans, une force de résistance et une dépense d’énergie violentes.

Il gardait un masque impassible, mais il souffrait à en mourir, dans son amour ou son orgueil. Son rire, pour qui s’y connaissait, ressemblait parfois à un cri de douleur, et il se raidissait contre l’émotion en tendant tous les muscles de son cerveau et toutes les cordes de son cœur. Heureux, du reste, dans sa souffrance, il élevait son aventure à la hauteur d’une situation difficile et tragique. Il rêvait provocation, duel, enlèvement.

Tout se passa plus simplement ; le hasard servit ce romantique échappé du collège, et, un beau soir, il se trouva sans rival. Le père de Guesdon mourut et Guesdon partit. Il devait rester huit jours absent ; quinze jours, trois semaines, un mois, s’écoulèrent avant qu’il revînt. Les affaires au pays étaient embarrassées, on devait au père Mouton ; la place resta libre, et Rodolphe n’eut plus qu’à essayer de pénétrer.

Il y avait une brèche déjà ; son ironie fiévreuse avait tracé une voie par où la passion pouvait passer.