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LE BACHELIER GÉANT.

d’autant plus, fit-il avec un geste de résigné, que là finit le drame.

Ma honte est acceptée : Violette est morte, je ne me raidis plus contre le courant et laisse aller mon cœur à la dérive.

Bêtinet est toujours l’amant de Rosita, la bat, la trompe : je la console et la nourris ! C’est lui qu’elle aime !

Je fais mine de ne rien savoir, et quand il leur arrive de se trahir devant moi, béat, j’écarte d’un autre côté mon oreille complaisante et lâche !

J’entends quelquefois à travers les cloisons leurs soupirs, leurs rires — quoique le rire maintenant soit rare ! Mais je me cache quand je crois qu’ils peuvent me voir, et je m’enfonce dans les coins sombres quand ils passent !

De temps en temps on me fait l’aumône, et je l’accepte : plaisir malsain, amours infâmes !

Nous voilà donc traînant, par les fêtes borgnes, notre ménage à trois — trio cynique de galériens !

Chacun de son côté pourrait gagner son pain, mais non ! par une sorte de compromis muet où la jalousie et la lâcheté se donnent la main, nous vivons dans la boue jusqu’au ventre, jusqu’au cœur dans la honte !

Ainsi se sont écoulés les jours, les mois, les années, et là-dessous, dit-il en soulevant sa chevelure, il y a déjà bien des cheveux gris !

Je devais être utile à mes semblables, et je pouvais tenir ma partie dans le monde !