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LE BACHELIER GÉANT.

comme un verre au bout d’une aiguille, se démène dans le vide, se trémousse et nage dans l’espace !

Le mancheur n’est pas, ici, comme le gagiste du cirque, sous un lustre aux lueurs tranquilles, mais, les yeux en l’air, par le soleil qui aveugle ou le vent qui souffle, il suit les mouvements de l’homme dont il a la charge. Qu’un rayon de soleil arrive tout à coup et éblouisse la prunelle, que sous les pieds de l’athlète un caillou glisse, un peu de terre s’écrase, moins que cela, il suffit d’un grain de poussière qui vole, d’une goutte de pluie qui tombe, si l’équilibre est dérangé, la perche vacille, échappe, et l’homme est mort.

Ah ! la première fois que je sentis au bout de ma perche un être vivant, étonné cette fois de se voir si haut, je tournai mon cœur en même temps que mes yeux vers le ciel.

Dieu merci ! je suis solide, et la perche n’a dévié que d’un quart de ligne, une fois…

Il est si facile de se débarrasser d’un homme que l’on hait, quand on le tient ainsi, sa vie appuyée contre sa poitrine, près de son cœur !…

Cet homme est quelquefois un misérable qui vous a pris votre bonheur et a troublé pour jamais votre repos ! il mérite la mort ! Une quinte de toux factice, un mouvement faux, la bretelle fatiguée d’avance… et tout est dit, justice est faite ! J’ai failli me faire moi-même justice… »

Je tressaillis à ce terrible aveu !

« Oh ! ce ne fut qu’une pensée d’un instant, un